Centre terrestre de commandement, veille stratégique, téléphones satellitaires, informatique embarquée, terminaux GPS, embarcations dernier cri... Les pirates somaliens ont massivement investi dans le high-tech et donneront certainement plus de fil à retordre aux navires marchands et aux marines de guerre.

Au sein d'un C3I savamment improvisé et dispersé en de multiples cellules nomades dans la ville côtière d'Eyl, plusieurs dizaines d'opérateurs – qui se surnomment les « garde-côtes » - munis de téléphones satellitaires et d'ordinateurs portables explorent minutieusement portails, webzines et blogs d'informations maritimes, et coordonnent les activités criminelles de leurs compagnons en haute mer.
Objectif : obtenir les identités, les positions et les routes des navires marchands, et si possible, la nature et la valeur de leurs cargaisons. Les tankers et supertankers, cibles hautement lucratives, sont très appréciés. En effet, les pétroliers et leurs intermédiaires, déjà très angoissés par la volatilité des cours du brut, préfèrent de loin payer les rançons plutôt que perdre leurs très précieuses cargaisons.
Une frange de ces « garde-côtes » disposerait-elle de compétences en hacking lui permettant de s'introduire dans les bases de données maritimes ?
Sur le site de l'International Maritime Bureau, les « garde-côtes » en apprennent beaucoup sur les récentes mesures anti-piraterie de la flotte marchande. Ces informations sont ensuite acheminées aux vaisseaux-mères pirates qui, à leur tour, les transmettent à leurs « Raiders » armés d'AK-47. Ces derniers atteindront rapidement les cibles désignées avec leurs « Volvos », embarcations modernes et rapides en fibre de verre, équipées de radios VHF et de terminaux GPS.
Afin d'étendre son rayon d'action et de faire face à une diversité de risques, le vaisseau-mère (un bateau de pêche, un cargo ou un petit tanker reconfiguré à cette fin) transporte des réserves de fuel, des armes légères, des munitions, des RPG et des outils permettant de forcer les sas fortifiés d'un navire marchand arraisonné par les pirates. À bord de ce bâtiment de projection et de commandement version tropicale, un ordinateur interfacé au Système d'Identification Automatique (SIA) identifie et traque les cibles potentielles naviguant dans un rayon de 40 miles nautiques.
N.B.: Le Système d'Identification Automatique (SIA) est « un système d’échanges automatisés de messages entre navires par radio VHF qui permet aux navires et aux systèmes de surveillance de trafic de connaître l'identité, le statut, la position et la route des navires se situant dans la zone de navigation » (cf. Wikipédia).
Depuis peu, les loups de mer somaliens ne se restreignent plus au Golfe d'Aden surveillé par de nombreuses flottes de guerre, et opèrent désormais plus près des eaux tanzaniennes, malgaches et indiennes. Consécutivement, les compagnies d'assurances maritimes ont élargi leurs zones à risques... et augmenté leurs tarifs ?
Dans Flottes, formes et fonctions à l'ère asymétrique, j'avais brièvement expliqué comment et pourquoi la piraterie maritime est à la fois une fin et un moyen, ajoutant ses nouvelles lignes de produits à la « foirefouille de Mad Max »... que je définis comme un réservoir d’idées et un guide tactique pour tout esprit malveillant en quête d’un atout ou d’une nuisance asymétrique.
Grâce aux juteuses rançons payées par les compagnies maritimes, les pirates somaliens ont perfectionné leurs modes opératoires et modernisé leur arsenal. Parallèlement, leur usage des technologiques de l'information et de la communication évoquent plus ou moins celui des terroristes qui frappèrent à Mumbaï (cf. La ville sous le feu) à l'automne 2008. Dans les deux cas, il s'agit de tirer habilement parti des technologies grand public afin de mener à bien sa mission et de damer le pion aux états et à leurs armées.
Ainsi, tel un virus intelligent, la piraterie somalienne adapte ses tactiques et techniques aux contre-mesures dirigées contre elle. Aujourd'hui, 43 navires de commerce, de pêche ou de plaisance et 698 otages de différentes nationalités sont encore entre ses mains.
Question naïve à 35 noeuds : peut-on durablement éradiquer la piraterie en haute mer en éludant ses racines sur la terre ferme ?
En savoir plus :
Onislam.net : Somali Pirates Tap into Sophisticated Navigation
The Christian Science Monitor : India pushes back on Somali pirates' new 'mother ship' offensive
The Christian Science Monitor : Madagascar captures Somali pirate 'mother ship.' Now what?
The Guardian : Life is sweet in piracy capital of the world