jeudi 29 septembre 2011

Un chasseur low-cost venu d'Afrique

Léger, compact et multi-rôle, l'AHRLAC est un pur produit sud-africain remplissant simultanément les fonctions d'un drone de surveillance, d'un avion de reconnaissance et d'un hélicoptère d'attaque. Parallèlement, cet appareil illustre pleinement des évolutions technologiques et des orientations stratégiques propres à l'Afrique du sud.


Manufacturé par les firmes sud-africaines Paramount Group et Aerosud - à Centurion Aerospace Village dans la banlieue de Johannesburg, l'AHRLAC (Advanced High-Performance Reconnaissance Light Aircraft) est un avion à décollage-atterrissage court volant à 550 km/h, doté de 7 à 10 heures d'autonomie de vol pour un rayon d'action de 2100 km, avec une masse au décollage de 3800 kg. Il est équipé d'un viseur FLIR, de radars SAR et de capteurs COMINT/ELINT. Les six points d'attache sous ses ailes peuvent accueillir des canons de 20 mm, des nacelles lance-roquettes et des missiles air-air/air-sol à courte ou moyenne portée. Les essais en vol de débuteront à l'hiver 2012 avec le turbopropulseur commercial Pratt & Whitney Canada PT6A.


Les concepteurs de l'AHRLAC sont persuadés que rien à ce jour ne remplace l'homme dans la conduite efficace d'opérations de reconnaissance et d'attaque au sol. Ainsi, l'appareil offre à son pilote et à son navigateur une large visibilité grâce à une visière en bulle, une aile haute et une propulsion arrière. Très versés dans la simplicité, la mobilité et la rusticité des équipements, les ingénieurs militaires sud-africains ont également veillé à ce que l'AHRLAC soit aisément opérable (déploiement, ravitaillement et maintenance) sur des pistes improvisées de sable ou en terre battue.

Vendu à un prix de moitié inférieur à celui d'un hélicoptère Apache soit dix millions de dollars (pour un budget de R&D et de certification s'élevant à 200 millions de dollars), l'avion multi-rôle made in ZA éviterait à ses clients potentiels le cauchemar logistique (tant sur le plan humain que matériel) d'un drone de surveillance, l'horreur financière et technique d'un hélicoptère d'attaque, l'enfer budgétaire d'un avion de reconnaissance et de son électronique embarquée... et le cumul des affres inhérent à un avion de transport spécialement reconfiguré.


En réalité, Paramount Group et Aerosud veulent séduire des polices ou des armées africaines, sud-américaines et asiatiques devant effectuer diverses missions au-dessus de la jungle, de la savane, du désert ou de la mer; et régulièrement confrontées à la vétusté des infrastructures routières, à l'insécurité frontalière, au trafic de drogue, à des factions armées, à la piraterie maritime, à des catastrophes naturelles ou à des tragédies humanitaires.

Au-delà de sa conception et de son marketing, l'AHRLAC est un indicateur de l'émergence sud-africaine et de la volonté de résurgence de son industrie aéronautique.

Cependant, il ne s'agit guère de concurrencer F-16, Rafale, Typhoon ou Mig-29 sur le marché mondial, et encore moins de reproduire des succès sud-africains relatifs ou incontestés que l'hélicoptère d'attaque Rooivalk, l'avion de chasse Cheetah C/E (un Mirage III remarquablement reconstruit « en local » afin de contourner l'embargo international lors des années d'apartheid) ou le véhicule blindé RG-31 Nyala très prisé par l'US Army pour sa formidable résistance au IED.

Durant l'ère post-apartheid dans les années 1990, le complexe militaro-industriel sud-africain fut littéralement victime d'une quadruple peine dont les stigmates demeurent présentes :
  • la fin de 13 années de « guerre des frontières » en Angola et en Namibie (1975-1988) qui offrirent ses lettres de noblesse au militech sud-africain,
  • le plongeon consécutif des dépenses militaires publiques qui passèrent de 5,1 milliards à 2,6 milliards de dollars de 1990 à 1997 (selon le Stockholm International Peace Research Institute),
  • une hémorragie des ingénieurs militaires, concomitante à la fuite de plus de deux millions de cerveaux « Blancs » à l'étranger,
  • le démantèlement de plusieurs firmes et l'acquisition de maintes divisions R&D par des sociétés étrangères.
Dans les années 1990, le retour progressif de l'Afrique du sud sur la scène des Afriques fut également accompagné d'une lente et solide réflexion stratégique qui commença sous les administrations Nelson Mandela et Thabo Mbeki et fut reprise à la volée par l'actuelle administration (du sulfureux) Jacob Zuma.


En effet, le ministère sud-africain de la défense mène (depuis 2007) une campagne de sensibilisation et de lobbying auprès des forces policières et militaires afin qu'elles adoptent des systèmes dédiés essentiellement à la sécurité frontalière et la lutte anti-piraterie. Cet effort se révéla payant car les dépenses militaires publiques se chiffrèrent à 4 milliards de dollars pour l'année fiscale 2010.

En arrière-plan, les cadres sud-africains de la défense incitèrent les firmes militaires à faire preuve de réalisme dans leurs plans marketing. Pas à pas, ces firmes étudièrent longuement les marchés « du sud » en général et les besoins typiquement africains en particulier. Aujourd'hui, elles comptent tirer parti à la fois des politiques de réarmement à l'échelle internationale et des fortes croissances économiques enregistrées par les pays émergents et par la plupart des nations africaines.

Last but not least, l'Afrique du sud bénéficie d'une notoriété très positive sur le continent africain et joue finement sur une fibre panafricaine hors de portée des anciennes puissances coloniales (France, Royaume-Uni, Espagne, Portugal)... et de la Chine ! Un bonheur n'arrivant jamais seul, elle est devenue une véritable puissance émergente (figurant parmi les BRICS) et profite savamment du retour de plus de 400 000 cerveaux depuis 2007. Paramount Group et Aerosud admettent ouvertement que bon nombre des concepteurs de l'AHRLAC sont des émigrés de l'aéronautique sud-africaine rentrés au bercail.

Nul ne sait si le chasseur low-cost africain préfigure la renaissance de l'aéronautique sud-africaine mais il exploitera probablement une niche commerciale superbement oubliée par des firmes aéronautiques américaines et européennes... complètement dépourvues de politiques marketing africaines.

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