Ousman
Blondin Diop: Menace sur
« l'islam noir » (Le
Monde)
Historiquement,
l'islamisation de l'Afrique noire s'est construite sur la rencontre
entre des sociétés aux traditions sociales et spirituelles
indigènes avec des valeurs nouvelles, différentes et d'origine
arabo-berbère, véhiculées par le commerce caravanier, mais qui
parviendront à un syncrétisme religieux tout à fait original. […]
Ainsi,
si l'islam a pu épouser les valeurs et pratiques antéislamiques des
sociétés spirituelles traditionnelles des Africains, cela tient
précisément à sa souplesse d'adaptation qui n'entraînait pas de
rupture avec la coutume. […] Si l'islam s'est imposé sans mal,
c'est parce qu'il apportait une plus-value au corps social endogène,
par empilement et non par substitution.[...] Enfin, l'Afrique
subsaharienne ne doit pas se laisser divertir de ses propres urgences
de développement face aux défis contemporains, au moment où elle
entre dans sa propre période d'invention de sa place dans le monde.
Au
Mali, où l'urgence consiste à endiguer la pauvreté,
l'analphabétisme et la sécheresse, ces don Quichotte en djellaba
ont choisi de commencer par la tournée des bars, avec pour divine
mission la destruction des réserves d'alcool. […] Rien n'empêche
désormais ces purificateurs de brûler les manuscrits de Tombouctou,
qu'ils jugeraient « hérétiques ». Et pourquoi pas remplacer le
bambara et le songhaï par l'arabe ? Pourquoi pas sortir de la tête
des enfants les contes de griots et interdire les palabres sous
prétexte qu'elles brouilleraient le message de la charia ?
Entre-temps, les salafistes s'emploieraient à couvrir les Africaines
de la tête au pied. Enfermez-moi donc toutes ces graines du diable
qui s'obstinent à se faire de jolies nattes et à gambader comme des
gazelles ! Brûlez-moi ces tissus en bogolan et ces boubous en basin.
[…]

Ainsi
serait l'Afrique d'Aqmi et d'Ansar Eddine - dont le nom signifie «
défenseurs de la religion », mais qui, en réalité, en sont les
pires détracteurs. Plutôt que de se souvenir, comme le clame
l'adage, que « Dieu est beau et aime la beauté », les djihadistes
ne cessent de prôner l'esthétique de la laideur et la culture de la
mort. Alors, le jour où l'Afrique sera l'Africanistan, on y perdra
non seulement l'âme du continent mais la mémoire du monde.