Président franco-béninois du
fonds européen FAI Partners, Lionel Zinsou offre un éclairage très enrichissant
sur l'histoire (pénalisante) et l'évolution (positive) de l'économie africaine.
Trois ans plus tôt, il estimait que "l'Afrique s'enrichit mais les Africains s'appauvrissent" (Jeune Afrique) : « L’Afrique est capable de réduire l’extrême pauvreté. Les statistiques le montrent. Mais du fait d’une croissance démographique très forte, le nombre de pauvres augmente. C’est un paradoxe qui fait qu’on peut dire aujourd’hui que l’Afrique s’enrichit, mais que les Africains s’appauvrissent. Pour y remédier, les économistes estiment à environ 7 % le taux de croissance annuel qu’il faut réaliser sur plusieurs années. À mon avis, l’Afrique n’en est pas très loin ! »
Lors de cette autre interview (Jeune Afrique) datant de 2012, il pulvérisa quelques clichés : « Il y a vingt ans, on considérait la croissance démographique comme un fardeau et l'un des obstacles au développement. Aujourd'hui, le paradigme doit être totalement revu, car l'Afrique devient un marché et représente un potentiel pour créer de la valeur. On le voit déjà avec la forte émergence d'une classe moyenne. [...] Malgré ces deux réserves, il ne fait pas l'ombre d'un doute que l'Afrique est attractive. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus de troubles sociaux, plus d'inégalités, plus de prédations... Je ne décris pas un monde idéal. Mais, à la question « est-ce que les Africains vont mieux vivre dans les prochaines années ? », la réponse est oui. »
Son récent entretien accordé au webzine les Afriques fourmille d'enseignements et de précisions qui valent impérativement le détour.
Son récent entretien accordé au webzine les Afriques fourmille d'enseignements et de précisions qui valent impérativement le détour.
« […]
On ne fait pas de la croissance avec les mêmes instruments
économiques. Le progrès passe par les réformes. Je dirai que
l’Afrique a assez largement dépassé les problèmes de pénurie de
financement, au moins pour les grands et moyens projets. Il reste
encore à régler le problème de financement des PME, à réformer
en faveur de l’efficience des marchés financiers. L’autre gros
problème qui demeure est le secteur informel. Selon le BIT, nous
avons un secteur salarié de 100 millions de personnes sur un
milliard d’habitants, dont 500 millions d’actifs.
[…]
L’Afrique a été conçue dans la division internationale du
travail pour ne pas avoir d’industrie et de secteur tertiaire fort.
[…] Par conséquent, il y a un héritage différent de celui de la
plupart des pays d’Asie. L’Afrique n’a pas eu d’infrastructures
léguées hormis celles nécessaires à l’exportation des minerais.
En Afrique, les chemins de fer desservent les mines et les gares.
Autre paradoxe, il y a très peu d’énergie alors que c’est le
continent, où il y a le plus de réserves de pétrole, de gaz et de
charbon, ainsi que les réserves hydriques. L’on estime qu’il
reste en Afrique 96% du potentiel hydroélectrique encore non ex
ploité. A l’indépendance, et contrairement à l’Asie, l’Afrique
n’avait pas d’investissements dans les infrastructures,
l’industrie et l’eau. Ce n’était pas nécessaire puisque la
division du travail accordait à l’Afrique le rôle d’exporter
des matières premières et d’importer des biens de consommation.
C’est tout d’un système de maison de trading colonial. Il n’y
a pas de capital, pas de classe moyenne, très peu de secteurs
privés.
[…]
Si la Chine n’avait pas adopté un trend très rapide, multipliant
ses échanges avec l’Afrique par 10 en 10 ans, les occidentaux
continueraient d’être en Arrêt sur images sur l’Afrique. La
Chine permet aux anciens partenaires de se poser des questions :
qu’est-ce que les chinois trouvent de bénéfique à travailler
avec les africains et pas nous ? Qu’est-on en train de rater ?
D’autre part, cette concurrence concerne tous les strates, y
compris les concours des grandes institutions bilatérales. […] Les
chinois vont très vite, avec des financements très généreux en
termes de durée. Ils sont capables de délivrer les fonds plus
rapidement et pas en deux ans comme c’est le cas de certaines
institutions. Cette souplesse correspond aux besoins des entreprises
et des Etats africains. Cette montée des émergents est appréciée
diversement en Europe où l’on craint le péril jaune et on pense
que l’Afrique est en train d’être achetée par les chinois. Mais
l’intérêt chinois pour l’Afrique ne se cantonne pas aux seules
domaines des matières premières, puisqu’il est aussi financier.
[…] La Chine investit aussi massivement dans les infrastructures.
En dehors de la Chine, nous avons les indiens qui investissent dans
le e-learning et les brésiliens qui, à l’image de Petrobras, ont
des projets de biocarburants. Donc, qualitativement et
quantitativement, l’apport des émergents à l’Afrique est
important. Ayant dit cela, il faut faire attention. Les gouvernements
sont contents d’une concurrence entre bailleurs de fonds et
investisseurs. Ils savent qu’au fond le phénomène chinois n’est
pas une recolonisation. Parce que la colonisation est phénomène
qu’on connaît bien, et qui consiste en l’inégalité des statuts
juridiques et, notamment, l’absence de capacité de légiférer
pour l’Etat souverain. La colonisation est un système
politico-juridique, dans lequel on est assujetti. Tel ne me paraît
pas être le cas de la Chine en Afrique…
[…]
Il y a un déclin des puissances coloniales historiques et des
puissances non coloniales comme les USA qui ont une histoire assez
proche des anciens colonisateurs de l’Afrique.
En valeur relative, ce déclin n’est pas inquiétant.
[…]
Les maisons-mères des filiales africaines
sont encore européennes. Total est le premier producteur de pétrole
en Afrique, devant Shell et BP. Les opérateurs de téléphonie qui
commencent à être challengés par les marocains et marginalisés
par les sud africains sont encore là, à savoir Téléfonica,
Portugal Télécom, France Télécom, Vivendi. Le stock de capital,
détenu par ces anciens partenaires, s’apprécie aussi dans les
infrastructures, les centrales électriques, les raffineries.
L’économie de la France-Afrique, ce n’est pas Perissac, CFAO,
France Telecom. Les nouveaux acteurs s’appellent GDF Suez, Alstom,
Total Cap Gemini. L’Afrique est maintenant normalisée. Tous les
secteurs sont représentés, des usines Nestlé à Danone, Unilever …
Certes les parts de marché des anciennes puissances baissent. La
Chine représente 15% des échanges de l’Afrique avec le
monde. L’apparition de nouveaux acteurs est une réalité. Quand
vous voyez que CFAO est vendue à Toyota, on voit qu’il y a de la
diversification en cours. Le jour où l’Europe se réveillera, cela
fera plus d’investissements, plus d’industries, moins de cotons
et plus de voitures et de produits agroalimentaires transformés.
Fondamentalement, l’Afrique n’a pas besoin
de l’Europe pour décoller. La preuve, le continent réalise une
croissance de 5% alors que l’Europe est à zéro. Pendant
longtemps, l’Afrique était considérée comme un fardeau.
[…]
Un autre débat est de considérer l’Afrique, prise dans la
division internationale du travail, apportant des fragments de valeur
ajoutée comme entre l’Europe de l’Est et le reste de l’Europe.
Cela prendra du temps. Un jour, on exportera des produits semblables
à ceux qu’on importe. Pour l’instant, la phase
d’industrialisation n’est pas encore une phase où on demande
d’être compétitif au niveau mondial. Le vrai sujet aujourd’hui
est de produire des réponses à une société en forte croissance.
Cette industrialisation est d’abord domestique. Mais, il ne faut
pas faire fausse route, c’est mieux d’exporter des bidons d’huile
de palme que des tourteaux, du diamant taillé que du brut, des fils
de cuivre que le minerai dans sa gangue. Mais ce n’est pas cela qui
est caractéristique de la période actuelle. C’est mieux de
transformer des fèves de cacao et d’importer de la poudre de cacao
et du beurre de chocolat. »
Les
Afriques : L'Afrique
a changé (Lionel Zinsou)
1 commentaire:
Ce qui est intéressant, c'est que l'Afrique donne finalement le la. En Europe, aujourd'hui, n'est-il pas pertinent de dire que les Européens s'appauvrissent ? Demandez donc aux Grecs, aux Espagnols, aux Français, même...
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