samedi 22 septembre 2007

Des biolinuxes contre la biopiraterie

Face à l’inflation constante des brevets privés sur le vivant, les modèles techno-économiques de l’open source et des creative commons séduisent et irradient progressivement la recherche en biotechnologies.

Destruction mutuelle assurée

Aujourd’hui, un laboratoire ne mène des études approfondies sur telle fonction de tel gène végétal ou humain qu’après avoir acquis d’onéreuses licences auprès d’un concurrent détenant un brevet sur le gène concerné. Un institut public de recherche opte pour un profil bas face à l’USPTO (US Patent and Trademark Office) ou à l’Office Européen des Brevets, son gouvernement préférant de surcroît ne pas trop se frotter à l’OMC. Plutôt qu’affronter une meute d’avocats californiens ou berlinois venue de si loin, le chercheur du tiers-monde préférera annuler sa prochaine publication... ou exercer clandestinement sa vocation.

Par ailleurs, de nombreux labos publics et privés usent et abusent réciproquement de leurs brevets - sur une protéine, une molécule ou une séquence d’ADN - comme outil de négociations pour accéder aux incontournables travaux de leurs homologues.

Dès lors, cette « gloutonnerie du brevetage privé » (1) génère des mécanismes hautement dégradants pour l’innovation, pour les découvertes fondamentales, pour l’intérêt général et de surcroît pour l’idée de nature. Une start-up n’avait-t-elle pas tenté de breveter à son seul profit la totalité des gènes du riz basmati, aliment pluri-millénaire consommé aujourd'hui par plus d’un milliard d’Indo-Pakistanais ?

Biotech 2.0

Heureusement, maints biotechniciens admettent enfreindre régulièrement quelque brevet avec l’accord tacite de son détenteur, car les retombées inhérentes de ces recherches pseudo-clandestines valorisent d’autant le procédé ou la découverte brevetée.

D’où la nécéssité de biolinuxes dont l’objectif n’est pas de contester le système actuel, puissant moteur pour la recherche & développement, mais de compléter celui-ci par d’immenses pools communs d’informations librement accessibles par des réseaux et des databases. Ainsi, les chercheurs bio du monde entier disposeront à la fois d’outils bioinformatiques open source et de matériaux exploitables à volonté (travaux, publications, procédés, prestations connexes, données génétiques, pharmacogénomiques, médicales, agronomiques, etc.). A l’image d’une communauté de logiciels libres où chacun peut modifier les codes sources en vue de les adapter à ses besoins propres ou de les améliorer pour le bénéfice de tous. En outre, l’inconstestable succès des logiciels open source et GNU n’a-t-il poussé Microsoft à améliorer significativement la qualité de ses produits & services ?

Selon Yochai Benkler, brillant professeur de droit à Yale, en plus de concilier admirablement innovations gratuites, intelligence collective et intérêt général, les biolinuxes répondent positivement à de multiples impératifs éthiques surplombant les sciences de la vie, la gestion des ressources naturelles et la géoéconomie pharmaceutique (notamment entre pays riches et pays pauvres).

Chiens, renards et loups

C’est précisement dans cette optique que le biologiste australien Richard Jefferson a crée Cambia , un institut de recherche à but non lucratif visant à « démocratiser, décentraliser et diversifier » la recherche agro-biotech à l’échelle mondiale. Plus d’une vingtaine de pays ont déjà été conquis par son initiative BIOS (Biological Open Source) et sa plate-forme en ligne Bioforge dans laquelle s’échangent des innovations biotech protégées par des licences ouvertes similaires aux creative commons.

Pionnière dans les solutions complètes (consulting, marketing, certification et assistance) en biotechnologies & bioinformatique open source, la start-up sud-africaine Electric Genetics a vite grandi au point de susciter l’appétit croissant d’investisseurs internationaux. Cette remarquable entreprise organise fréquemment un « hackaton » auprès de développeurs-programmeurs sud-africains capables de fournir rapidement d’ingénieux biologiciels libres. Des initiatives identiques apparaissent également au Brésil, en Argentine, au Ghana, au Botswana, en Inde, en Malaisie et en Thaïlande.

Les nations émergentes et en développement ont vite saisi la valeur ajoutée des biolinuxes. En effet, ceux-ci pavent la voie à une agriculture biotech libre dépourvue de semences génétiquement verrouillés - souvenons-nous du gène bloquant Terminator ! - et à des traitements tropicaux open source et bon marché volontairement délaissées par les firmes pharmaceutiques. En Afrique, en Amérique latine et en Asie, une trithérapie anti-HIV made in USA/Europ équivaut très souvent à plus d’un trimestre de salaire...

Activement soutenue par plusieurs scientifiques de renom, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle adapte peu à peu sa réglementation à des modèles ouverts de brevets & licences dans la science et la technologie... Et ce malgré les récurrents croche-pieds de l’USPTO.

Les enjeux des biolinuxes sont suivis de près par le site francophone Noolithic .

(1) Danielle Auffray, Fiorello Cortiana et Alain Lipietz dans Le Monde du 15 mars 2005

Article publié et commenté sur Agoravox

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Article extrêmement intéressant, merci.

Anonyme a dit…

Droit propriétaire et innovation ont déjà une histoire assez conséquente aux U.S.A., que je vous livre si nous ne la connaissiez pas déjà.

C'était à l'occasion de l'essor prévisible et programmée des télécommunication par satellite. Bull, qui avait posé l'intégralité du réseau filaire au U.S.A., allait nécessairement trainer des pieds pour financer le réseau satellite, préférant de loin rentabiliser un réseau couteux à mettre en place et dont il avait la maitrise parfaite. De tête, il me semble que Bull avait 1 million d'employé à l'époque, un truc énorme de ce genre.

Le gouvernement, prévoyant cette réaction de Bull, et y voyant un frein à l'innovation technologique, décida donc de trouver un autre partenaire industriel capable de mettre le projet sur pieds.

Bref, je dois avouer qu'il faudrait que je retrouve mes cours car je ne rappelle plus de l'heureux candidat, et même si le nom d'IBM me vient en tête, je n'en suis pas certain.

Ce qui est sûr, par contre, c'est que les U.S.A. ont une certaine culture en matière d'innovation. A titre d'exemple, France Télécom en France a tué l'innovation dans le domaine des nouvelles technologies de l'information, en étouffant le marché de son monopole.