jeudi 11 février 2010

Une matinée un peu trop interactive


La réalité augmentée envahit lentement et sûrement nos environnements online / on air. Dans un jargon plus techno, on appelle cela « informatique diffuse » ou « communication ambiante ». Tout objet comportant plus ou moins une interface électronique (ordinateur, mobile, affiche publicitaire, etc) transforme votre environnement immédiat en hyperliens multimédia et/ou réagit à vos sollicitations... ou à votre complète indifférence. Pensez au superbe film Minority Report et au chef-d'oeuvre d'animation Renaissance 2054.

Selon l'étudiant nippon Keiichi Matsuda, « la seconde moitié du 20ème siècle a vu la fusion de la construction et de l'espace média, offrant de nouveaux rôles à l'architecture dans les domaines associés au branding, à l'imagerie et au consumérisme. La réalité augmentée redéfinira les rôles de l'architecture et du consumérisme et modifiera nos modes d'interaction avec ceux-ci. »

Augmented (hyper)Reality: Domestic Robocop from Keiichi Matsuda on Vimeo.


Dans cette animation conçue pour son master d'architecture, Matsuda nous offre un avant-goût probable de notre matinée dans quelques décénnies. Nul doute qu'il obtiendra son diplôme haut la main. Ce futur conditionnel en 3D me fait rire, m'impressionne et m'effraie. En effet, les marketeurs sont connus pour leur relation très conflictuelle avec la pédale de frein publicitaire. Imaginez un peu qu'un infomédiaire comme Google s'immisce dans votre réalité augmentée, de la rue piétonne à la salle de bains...
Où est le disjoncteur ?

vendredi 5 février 2010

Une musique plus forte et de qualité moindre



Avez-vous déjà prêté attention à cette bouillie sonore vomie par les radios et dans les bars-restaurants ? Avez-vous perçu cette différence de niveau sonore et de qualité acoustique d'une même chanson entre votre chaîne hi-fi et votre station FM préférée ?


Non, vous n'êtes ni ringard ni trop vieux : depuis une vingtaine d'années, la musique est effectivement enregistrée et diffusée à un volume de plus en plus élevé. Les ingénieurs du son et les directeurs des radios commerciales tiennent à ce que « ça claque un max » dans les micro-chaînes hi-fi, dans les autoradios, dans les ensembles bi/tri/quadri-phoniques (pour ordinateurs) et dans les baladeurs numériques.

La méthode utilisée à cette fin par les ingénieurs du son est appelée « compression dynamique » : lors de la post-production, les plus hautes et les plus basses fréquences d'une piste musicale sont ramenées vers un niveau moyen ou médian. D'où un « volume relatif » - la zone intermédiaire entre les extrêmes – qui sera au final plus élevé que celui initial.

Lors de sa diffusion en FM, la même chanson déjà numériquement compressée sera traitée en temps réel par un DSP (ou processeur de son numérique, nettement plus sophistiqué que celui de votre chaîne hi-fi ou de votre lecteur multimédia préréglé en mode rock, techno, jazz ou classical) qui lui donnera une sonorité à la fois très dense et légèrement explosive, hautement appréciée par les radios commerciales et par leurs annonceurs publicitaires. La preuve par l'inoubliable tube « In Da Club » du rappeur 50 Cent.

Motif : à la maison ou sur la route, l'auditeur souhaitant se changer les idées positionne plus souvent son tuner sur une station FM diffusant à un volume élevé... C'est un tantinet plus vrai pour un auditeur mâle âgé de 15 à 40 ans. Est-ce l'âge de la grandeur des folies ?


Niveau sonore de plusieurs tubes de 2003 à 2009. NPR Media


Selon le vétéran Bob Ludwig de l'ingénierie du son, la loudness war a commencé en douceur avec les disques vinyle 45 tours car les technologies analogiques de l'époque étaient beaucoup plus restrictives que celles numériques qui émergèrent à la fin des années 70. Dès l'apparition du CD au milieu des années 80, la quête perpétuelle du tube et la course incessante aux hit-parades (Top 50, Billboard, Top of the Pops, etc) radicalisèrent cette guerre du volume.



À l'ère du MP3, la qualité sonore de la musique a été peu ou prou nivellée par le bas, notamment par rapport au CD offrant tout de même une incontestable clarté acoustique. Par ignorance et/ou par souci d'économiser de la mémoire (baladeurs, smartphones), les audionautes optent trop souvent - au téléchargement ou à la conversion du CD - pour des chansons compressées à 128 ko/s ou 192 Ko/s. Sachant cela, les ingénieurs du son ont réajusté leurs réglages, d'où une guerre du volume devenue systématique dans les productions pop, rock, Rn'B et metal (voir la vidéo ci-dessus)... et une impression régulière de fatigue ou de ras-le-bol à l'écoute de plusieurs tubes ou de quelques albums pourtant de très bonne voire d'excellente facture.

Au fait, qu'est devenu ce groupe mythique new-wave/electro des 80-90's nommé Art of Noise ?


En savoir plus :


  1. NPR Media : The Loudness Wars : Why Music Sounds Worse

  2. The Guardian : Come on, feel the noise

mercredi 3 février 2010

Les traders virtuels préfèrent la microseconde


Tout récemment, Thomson Reuters a crée le service d'informations NewsScope Direct diffusant des données économiques et financières toutes les microsecondes à destination des traders algorithmiques (high frequency traders) des bourses de Chicago et de Londres. Une microseconde = un millionème de seconde. Un instant plus que négligeable pour nous, pauvres humains, une vie entière pour ces opérateurs de marché Intel inside.



Selon le magazine financier Agefi :


« Basé sur des modélisations mathématiques des marchés financiers, le trading algorithmique automatise le placement des ordres, tout en respectant des stratégies d’investissement bien arrêtées. »


« Très développé chez les arbitragistes (hedge funds et comptes propres de banques), consiste à jouer sur les inefficiences des marchés que la volatilité a démultipliées ces derniers mois. Dans un cas simple, le gérant achète une grande quantité de titres (plutôt liquides de type « blue chips ») sur une plate-forme pour les revendre presque instantanément sur une autre où le prix était supérieur, en toute transparence « pre-trade » : le premier cours va monter et le deuxième baisser, rendant les marchés plus efficients (d’autres arbitrages porteront par exemple sur deux valeurs différentes mais corrélées). A ce jeu où deux algorithmes équivalents vont détecter l’incohérence, c’est l’exécution la plus rapide qui l’emporte. D’où une course à la « milliseconde », qui se traduit par un rapprochement géographique entre plates-formes, intermédiaires et arbitragistes. Pour raccourcir encore la période de latence, les plates-formes proposent même désormais dans leurs locaux des postes en colocation à destination des autres intervenants : bientôt 300 installés chez Nyse Euronext grâce au déménagement informatique dans le sud-est de l’Angleterre. »


Selon le New York Times, le trading algorithmique (ou algotrading) qui ne portait que sur 30% des actions échangées à Wall Street en 2005, est passé à 61% en 2009. Consécutivement, une bonne part de la cacophonie rituelle des salles de marchés s'est peu à peu déplacée d'abord vers de silencieuses fermes de serveurs (server farms) à travers toute l'Amérique, puis dans des interfaces logicielles plus ou moins conviviales compensant la complexité intrèsèque des outils.

Les « algotraders » sont de loin plus rapides et plus efficaces que leurs pairs biologiquess qui, forcément, décrochent face à de tels rivaux... ou partenaires leur permettant de traiter dix fois plus d'ordres que manuellement. À titre d'exemple le système High Frequency Trading (HFT) de NYSE Euronext exécute des ordres à un rythme de 650 microsecondes tandis que celui de BATS Global Market plafonne à 250 microsecondes.

Un écart de 300 microsecondes faisant désormais une énorme différence entre gains et pertes, les fonds d'investissement se livrent à une concurrence acharnée par calculateurs et algorithmes interposés, seuls capables de réagir aux informations écofinancières avant qu'elles ne produisent leurs tous premiers effets sur les marchés. D'où l'immense intérêt de NewsScope Direct pour ces traders 100% techno. Nul doute que ce service et d'autres émules seront progressivement étendus à toutes les places financières.


Score intermédiaire : 2-0 pour les machines. Dégagez, sales humains ! Entretemps, la course-poursuite technologique a déjà commencé.


Basé à Setauket (État de New York), le fond d'investissement Renaissance Technologies s'est doté d'une puissance de calcul égale à celle du laboratoire scientifique de Lawrence Livermore (Californie) spécialisé dans l'expérimentation d'armes nucléaires, la fusion magnétique, l'énergétique, la biologie et les sciences environnementales.

Le datacenter de 120 000 m2 construit par NYSE Euronext à Mahwah (New Jersey) entrera en service au printemps 2010. Il analysera et modélisera l'ensemble des places financières mondiales à une vitesse moyenne de 40 Go/s et diffusera plus d'un million de messages par seconde vers ces dernières. Ici, la plus grande difficulté technique réside non pas dans la vitesse de traitement des données mais dans l'acheminement d'une telle masse d'informations via l'internet et divers réseaux numériques propriétaires déjà quotidiennement inondés.



Aux États-Unis, les algotraders suscitent de sérieuses controverses. De nombreuses critiques les accusent de manipuler les marchés financiers, d'être une concurrence déloyale pour les traders et les boursicoteurs humains, et de semer les graines d'un krach financier. Le Securities and Exchange Commission, gendarme boursier américain, a récemment procédé à l'interdiction du flash trading (ou flash order) qui « s’apparente au délit d’initié dans la mesure où les Direct Edge, CBOE puis Bats et Nasdaq OMX offraient à certains clients, dans un lieu électronique différent de la plate-forme d’échanges et pendant un temps très court de quelques dizaines de millisecondes, un aperçu privilégié sur le carnet d’ordres. Très critiqué pour son iniquité, ce service a été interrompu par les deux dernières fin août, puis interdit par le régulateur américain le 17 septembre » (cf. Agefi).


Pour ma part, je perçois ces super-traders virtuels comme des accélérateurs ou des démultiplicateurs potentiels de sensibilité aux conditions initiales. Auriez-vous donc oublié ce cher Edward Lorenz et ses fameux attracteurs étranges ? Ainsi, du fait de la puissance computationnelle constamment augmentée et de la sophistication perpétuelle des algotraders, outils simultanément et massivement utilisés par un nombre croissant de fonds d'investissement, d'infimes variations de prix se transformeraient ultra-rapidement en grosses pierres qui roulent sur les marchés, réunissant d'autant plus vite les conditions propices au krach financier.


En bref, ces traders techno doperaient-ils l'effet papillon à une vitesse proprement électronique ? Pour peu que ces outils se généralisent au sein des fonds d'investissement et de la bancassurance, quelles incidences auront les « micro ou macro-décisions » humaines dans un système financier mondial où les machines prennent les initiatives premières et sont au coeur des transactions consécutives ?


Pour les vétérans de la finance, le krach de 1987 est encore dans les mémoires : en une seule journée, le Dow Jones plongea de 22%. Les coupables : des systèmes de gestion de portefeuilles - lointains ancêtres de nos algotraders actuels – programmés pour vendre automatiquement des actions dès que leurs prix passent en-dessous d'un niveau plancher.


Or, si notre imperfection typiquement humaine - en matières de calcul, de modélisation et de décision - contribue en partie à éviter des krachs à répétition, elle constitue également un facteur aggravant. En effet, sur les marchés financiers, il vaut largement mieux se tromper comme tout le monde plutôt qu'en solitaire. Et quand tout va mal, les traders se fient plus souvent aux décisions de leurs collègues qu'à leur libre arbitre. Vive le facteur humain ! Dans de telles circonstances, les imperfections du marché seront-elles amplifiées par ces super-traders virtuels à des échelles encore inconcevables aujourd'hui ?


Verra-t-on bientôt des algotraders pré-modélisant - en arrière-plan de l'activité des marchés - les comportements de leurs pairs virtuels qui, à leur tour devront réajuster leurs tirs ? Les places financières n'en sont plus à une complexité près... à l'image des CDO (collateralized debt obligations) ou des CDO de CDO de CDO, produits dérivés de multiples dérivés de dérivés qui envahirent les marchés financiers (cf. Krach flow) durant les années 2000, explosèrent tels des cocktails molotov à la figure des fonds d'investissement et de la bancassurance en 2007-2008 et entraînèrent les subprimes déjà très mal en point dans leur descente aux enfers.

Dans quelques décénnies, le Grand Livre des Données nous dira certainement si le recours massif aux algotraders a provoqué ou non beaucoup plus de krachs que par le passé... et à quel prix l'économie réelle l'a payé.