mardi 7 mai 2013

L'accélération de l'Afrique

Président franco-béninois du fonds européen FAI Partners, Lionel Zinsou offre un éclairage très enrichissant sur l'histoire (pénalisante) et l'évolution (positive) de l'économie africaine. 


Trois ans plus tôt, il estimait que "l'Afrique s'enrichit mais les Africains s'appauvrissent" (Jeune Afrique) : « L’Afrique est capable de réduire l’extrême pauvreté. Les statistiques le montrent. Mais du fait d’une croissance démographique très forte, le nombre de pauvres augmente. C’est un paradoxe qui fait qu’on peut dire aujourd’hui que l’Afrique s’enrichit, mais que les Africains s’appauvrissent. Pour y remédier, les économistes estiment à environ 7 % le taux de croissance annuel qu’il faut réaliser sur plusieurs années. À mon avis, l’Afrique n’en est pas très loin ! »

Lors de cette autre interview (Jeune Afrique) datant de 2012, il pulvérisa quelques clichés  : « Il y a vingt ans, on considérait la croissance démographique comme un fardeau et l'un des obstacles au développement. Aujourd'hui, le paradigme doit être totalement revu, car l'Afrique devient un marché et représente un potentiel pour créer de la valeur. On le voit déjà avec la forte émergence d'une classe moyenne. [...] Malgré ces deux réserves, il ne fait pas l'ombre d'un doute que l'Afrique est attractive. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus de troubles sociaux, plus d'inégalités, plus de prédations... Je ne décris pas un monde idéal. Mais, à la question « est-ce que les Africains vont mieux vivre dans les prochaines années ? », la réponse est oui. »


Son récent entretien accordé au webzine les Afriques fourmille d'enseignements et de précisions qui valent impérativement le détour.

« […] On ne fait pas de la croissance avec les mêmes instruments économiques. Le progrès passe par les réformes. Je dirai que l’Afrique a assez largement dépassé les problèmes de pénurie de financement, au moins pour les grands et moyens projets. Il reste encore à régler le problème de financement des PME, à réformer en faveur de l’efficience des marchés financiers. L’autre gros problème qui demeure est le secteur informel. Selon le BIT, nous avons un secteur salarié de 100 millions de personnes sur un milliard d’habitants, dont 500 millions d’actifs.

[…] L’Afrique a été conçue dans la division internationale du travail pour ne pas avoir d’industrie et de secteur tertiaire fort. […] Par conséquent, il y a un héritage différent de celui de la plupart des pays d’Asie. L’Afrique n’a pas eu d’infrastructures léguées hormis celles nécessaires à l’exportation des minerais. En Afrique, les chemins de fer desservent les mines et les gares. Autre paradoxe, il y a très peu d’énergie alors que c’est le continent, où il y a le plus de réserves de pétrole, de gaz et de charbon, ainsi que les réserves hydriques. L’on estime qu’il reste en Afrique 96% du potentiel hydroélectrique encore non ex ploité. A l’indépendance, et contrairement à l’Asie, l’Afrique n’avait pas d’investissements dans les infrastructures, l’industrie et l’eau. Ce n’était pas nécessaire puisque la division du travail accordait à l’Afrique le rôle d’exporter des matières premières et d’importer des biens de consommation. C’est tout d’un système de maison de trading colonial. Il n’y a pas de capital, pas de classe moyenne, très peu de secteurs privés.

[…] Si la Chine n’avait pas adopté un trend très rapide, multipliant ses échanges avec l’Afrique par 10 en 10 ans, les occidentaux continueraient d’être en Arrêt sur images sur l’Afrique. La Chine permet aux anciens partenaires de se poser des questions : qu’est-ce que les chinois trouvent de bénéfique à travailler avec les africains et pas nous ? Qu’est-on en train de rater ? D’autre part, cette concurrence concerne tous les strates, y compris les concours des grandes institutions bilatérales. […] Les chinois vont très vite, avec des financements très généreux en termes de durée. Ils sont capables de délivrer les fonds plus rapidement et pas en deux ans comme c’est le cas de certaines institutions. Cette souplesse correspond aux besoins des entreprises et des Etats africains. Cette montée des émergents est appréciée diversement en Europe où l’on craint le péril jaune et on pense que l’Afrique est en train d’être achetée par les chinois. Mais l’intérêt chinois pour l’Afrique ne se cantonne pas aux seules domaines des matières premières, puisqu’il est aussi financier. […] La Chine investit aussi massivement dans les infrastructures. En dehors de la Chine, nous avons les indiens qui investissent dans le e-learning et les brésiliens qui, à l’image de Petrobras, ont des projets de biocarburants. Donc, qualitativement et quantitativement, l’apport des émergents à l’Afrique est important. Ayant dit cela, il faut faire attention. Les gouvernements sont contents d’une concurrence entre bailleurs de fonds et investisseurs. Ils savent qu’au fond le phénomène chinois n’est pas une recolonisation. Parce que la colonisation est phénomène qu’on connaît bien, et qui consiste en l’inégalité des statuts juridiques et, notamment, l’absence de capacité de légiférer pour l’Etat souverain. La colonisation est un système politico-juridique, dans lequel on est assujetti. Tel ne me paraît pas être le cas de la Chine en Afrique…

[…] Il y a un déclin des puissances coloniales historiques et des puissances non coloniales comme les USA qui ont une histoire assez proche des anciens colonisateurs de l’Afrique. En valeur relative, ce déclin n’est pas inquiétant.

[…] Les maisons-mères des filiales africaines sont encore européennes. Total est le premier producteur de pétrole en Afrique, devant Shell et BP. Les opérateurs de téléphonie qui commencent à être challengés par les marocains et marginalisés par les sud africains sont encore là, à savoir Téléfonica, Portugal Télécom, France Télécom, Vivendi. Le stock de capital, détenu par ces anciens partenaires, s’apprécie aussi dans les infrastructures, les centrales électriques, les raffineries. L’économie de la France-Afrique, ce n’est pas Perissac, CFAO, France Telecom. Les nouveaux acteurs s’appellent GDF Suez, Alstom, Total Cap Gemini. L’Afrique est maintenant normalisée. Tous les secteurs sont représentés, des usines Nestlé à Danone, Unilever … Certes les parts de marché des anciennes puissances baissent. La Chine représente 15% des échanges de l’Afrique avec le monde. L’apparition de nouveaux acteurs est une réalité. Quand vous voyez que CFAO est vendue à Toyota, on voit qu’il y a de la diversification en cours. Le jour où l’Europe se réveillera, cela fera plus d’investissements, plus d’industries, moins de cotons et plus de voitures et de produits agroalimentaires transformés. Fondamentalement, l’Afrique n’a pas besoin de l’Europe pour décoller. La preuve, le continent réalise une croissance de 5% alors que l’Europe est à zéro. Pendant longtemps, l’Afrique était considérée comme un fardeau.

[…] Un autre débat est de considérer l’Afrique, prise dans la division internationale du travail, apportant des fragments de valeur ajoutée comme entre l’Europe de l’Est et le reste de l’Europe. Cela prendra du temps. Un jour, on exportera des produits semblables à ceux qu’on importe. Pour l’instant, la phase d’industrialisation n’est pas encore une phase où on demande d’être compétitif au niveau mondial. Le vrai sujet aujourd’hui est de produire des réponses à une société en forte croissance. Cette industrialisation est d’abord domestique. Mais, il ne faut pas faire fausse route, c’est mieux d’exporter des bidons d’huile de palme que des tourteaux, du diamant taillé que du brut, des fils de cuivre que le minerai dans sa gangue. Mais ce n’est pas cela qui est caractéristique de la période actuelle. C’est mieux de transformer des fèves de cacao et d’importer de la poudre de cacao et du beurre de chocolat. »

Les Afriques : L'Afrique a changé (Lionel Zinsou)

1 commentaire:

Ouadou a dit…

Ce qui est intéressant, c'est que l'Afrique donne finalement le la. En Europe, aujourd'hui, n'est-il pas pertinent de dire que les Européens s'appauvrissent ? Demandez donc aux Grecs, aux Espagnols, aux Français, même...