Après
« Autour
du Brexit, cet effet Trump aux normes européennes »,
jettons un oeil sur la victoire électorale de Donald Trump et la
défaite de Hillary Clinton dans la course à la Maison Blanche.
Les
médias ont éludé le pays réel et les instituts de sondage sont
littéralement aveugles sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter,
Instagram, Google+, etc).
Entre ces deux terra incognita, journalistes et prévisionnistes ont
pris leurs désirs pour des réalités – ou leurs vessies pour des
lanternes, garantissant une victoire quasi certaine et écrasante de
Hillary Clinton jusqu'au soir du 8 novembre (194
médias américains sur 200 avaient soutenu Hillary Clinton).
L'éventuelle
autocensure politiquement correcte des sondés ouvertement ou
potentiellement pro-Trump aurait-elle induit les instituts de sondage
en erreur ? Les sondages par appels téléphoniques sur des
lignes fixes ont-ils encore un sens à l'ère des smartphones, des
tablettes et des apps
Android/iPhone ?
Donald
Trump estime
que
« les
réseaux sociaux [...]
l'ont aidé à gagner des Etats où ses adversaires démocrates
dépensaient beaucoup plus d'argent que lui. »
Le
milliardaire comptabilise 28 millions d'abonnés sur Facebook,
Twitter et Instagram contre 10 millions pour Hillary Clinton. Selon
une étude
du Pew Reasearch Center,
68% des Américains sont des utilisateurs réguliers de Facebook –
réseau/média social préféré de loin à Twitter, Instagram et
Google+, 76% d'entre eux consultent quotidiennement leurs flux
d'actualités et la moitié d'entre eux en usent comme un média
d'informations.
Les
réseaux/médias sociaux accélèrent-ils drastiquement la formation
des opinions et les réorientations des intentions de vote ?
À l'ère du temps Internet, une campagne électorale se joue-t-elle
sur quelques heures / jours ou en temps réel (comme ce fut le cas
pour le Brexit) ?
Facebook
a été directement ou indirectement accusé à plusieurs reprises –
notamment
par l'ex-président Obama
– d'avoir grandement contribué à l'élection de Trump en
diffusant des « informations fausses ou trompeuses ».
En effet, les « bulles de filtres » sur les réseaux
sociaux favorisent largement des informations peu ou prou conformes
aux opinions / préférences de chaque utilisateur alors tenu à
l'écart de la diversité des perspectives et des débats d'idées et
donc constamment sujet à un biais de confirmation et à une
« illusion
de la majorité ».
Ainsi, la possibilité qu'un candidat aussi hors-normes que Trump
soit élu a certainement échappé à de nombreux journalistes, également utilisateurs réguliers de Facebook, Twitter, Instagram,
Google+, etc.
Peut-on
croire un instant que les réseaux sociaux en général et Facebook
en particulier soient au cœur de la défaite de Madam Secretary
? Qu'en est-il des lames de fond au sein de l'Amérique profonde ?
Une chose est sûre : le Parti démocrate, première victime de l'immense bulle de filtre pro-Clinton des médias américains, a été assommé par cet
uppercut de la réalité.
En
Allemagne, la chancelière Angela Merkel « réclament
aux géants d’Internet de dévoiler leurs algorithmes
[...]
Elle n’aura pas ces informations, estime Spiegel Online. Et en
vérité, elle cherche bien autre chose [...]
Ce qui intéresse Angela Merkel, ce sont les effets secondaires des
moteurs de recherche sur le débat public. Les “bulles de filtres”,
par exemple, qui font qu’un internaute ne reçoit que des contenus
qui corroborent son regard sur le monde [...]
De nombreux observateurs croient que ce retranchement derrière des
idées préconçues empoisonne le débat public. Un constat qui
préoccupe aujourd’hui le centre du pouvoir à Berlin. Là-bas, “il
y a maintenant consensus sur le fait que les bulles de filtres sont
un problème pour la démocratie, et tout le monde pense à la
campagne électorale à venir”. La bataille électorale avant les
législatives allemandes de septembre 2017 pourrait s’approcher du
niveau de la campagne américaine, avec une place inédite pour le
mensonge. C’est ce qui fait peur à Berlin. L’Allemagne ne veut
pas vivre ça. »
(Courrier
International)
Stephen
K. Bannon, stratège électoral de Donald Trump et rédacteur-en-chef
du très populaire webzine de réinformation Breitbart
(entre extrême-droite et complotisme), a remarquablement capté
l'air du temps. Selon
ce futur conseiller senior à la Maison Blanche, « Hillary
est le parfait exemple du discours de Trump. De son serveur d'email à
ses discours grassement payés aux banquiers de Wall Street, en
passant par ses problèmes avec le FBI, elle représente tout ce que
les Américains de classe moyenne détestent. »
Parallèlement,
la consécration de Breitbart en arrière-plan de la victoire de Trump est un
véritable régal dans l'univers des webzines / blogs de
réinformation orientés extrême-droite et/ou complotisme face à
l'univers des médias traditionnels (TV, radio, presse) férocement
soupçonnés de déformer la réalité et de manipuler les masses.
La
machine marketing Trump a su offrir le storyelling adéquat (mêlant
contestation du système établi et refondation politique et
économique sous la houlette du futur président) à une Amérique en
colère.
Peu après la seconde déclaration d'ouverture d'une enquête sur le serveur email de Hillary Clinton par le FBI en fin octobre 2016, l'équipe Trump,
puisant son inspiration auprès des événements du Brexit (où tout
s'est joué sur les derniers jours avant le vote... au grand dam des
médias, des analystes politiques et des instituts de sondage), a
saisi cette aubaine inespérée pour mieux cibler « les
nouveaux républicains désaffectés :
plus jeunes que les loyalistes traditionnels du Parti
[républicain]
et
moins susceptibles de vivre dans des métropoles. Ils partagent
l'esprit populiste de Bannon et sont plus soucieux que d'autres
républicains de trois grandes questions : l'ordre public,
l'immigration et les salaires. »
Donald
Trump s'est érigé en pourfendeur acharné du « système »
et en sauveur messianique d'un capitalisme authentiquement américain. Au cours d'un rallye en
Arizona - quelques jours avant le 8 novembre, le volubile
milliardaire brossait un portrait assassin de son adversaire : « un
vote pour Hillary est un vote pour soumettre notre gouvernement à la
corruption publique, aux pots-de-vin et au copinage qui menacent la
survie de notre système constitutionnel. Ce qui nous rend
exceptionnels, c'est que nous sommes une nation de lois et nous sommes
tous égaux en vertu de ces lois. La corruption de Hillary détruit
le principe sur lequel notre nation a été fondée. »
En
réalité, Donald Trump ne menait pas une campagne électorale mais
une guérilla marketing contre le politiquement correct et
« l'établissement »
(partis traditionnels, médias, finance, show-biz, intellectuels,
etc). Au Royaume-Uni, Nigel Farage (UKIP), Boris Johnson (Parti
conservateur) et compagnie ont milité pour le Brexit, et ensuite
reconnu que bon nombre de leurs propositions n'étaient que du
« pipeau ». Dans la « conquête des coeurs et des
tripes », la figure la plus provocatrice, la plus contestataire
et la plus imprévisible fait de l'audience et du buzz, peu importe
que la réalité soit déformée ou bafouée. Les méthodes Trump /
Farage & Johnson préfigurent-elles une tendance lourde en
politique ? Qu'en sera-t-il au plus fort de la course à l'Elysée au
printemps 2017 ?
The
Wall vs. The War | Pablog
Hillary
Clinton manquait cruellement de charisme et n'a pas répondu aux
inquiétudes des Américains de classe moyenne. La
candidate démocrate, certes expérimentée en politique étrangère
et branchée social
justice warrior
(SJW), s'est peu à peu érigée en policière de la pensée
(chouchoutée par les médias) plutôt qu'en future présidente et
rénovatrice à poigne, et a rarement semblé en prise avec ses
concitoyens. À ce jeu, sa fervente alliée et ex-première dame
Michelle Obama, oratrice aussi galvanisante qu'attachante, fut
nettement meilleure.
Par
ailleurs, Hillary Clinton a usé et abusé de la stratégie de la
peur en focalisant sur l'épouvantail Trump imprégné
de racisme, de fascisme, de sexisme, d'homophobie, de
climato-scepticisme, de conspirationnisme, de magouilles et de
surcroît manipulé par le démon Vladimir Poutine. De fait, elle n'a
vendu ni son programme ni sa personne à des classes moyennes
américaines essorées et aspirées par la Grande Récession. Les
droits des minorités, le changement climatique et la guerre froide
2.0 ne figurent guère parmi leurs préoccupations ni leurs craintes.
Au final, entre le tripatouillage des primaires démocrates en
défaveur de Bernie Sanders (un Trump apaisant et rassurant de
l'autre côté de la tangente ?), les enquêtes « en
départ arrêté » du FBI et les révélations de Wikileaks,
Hillary Clinton devint une apôtre du statu quo et
une reine de la corruption.
N.B.:
Après une enquête approfondie sur les relations sociales de
l'équipe Trump, souvent accusée par Hillary Clinton d'être proche
et/ou influencée par le président russe Vladimir Poutine, le FBI a
officiellement conclu
qu'il n'en était rien ou pas grand-chose. Était-ce nécessaire
d'enfumer l'opinion et de diaboliser le sulfureux milliardaire avec
autant d'hallucinogènes made
in Russiamerica ?
Les
électeurs attendent-ils de Trump qu'il offre les bonnes solutions ou
qu'il pose sans détour ni fioritures les bonnes questions (tant
éludées par « l'établissement ») ? Veulent-ils
se venger d'une élite jugée prédatrice, indifférente et
corrompue ?
Les
ficelles de son programme (mur à la frontière américano-mexicaine,
expulsion de plusieurs millions de migrants clandestins, interdiction
d'entrée aux Etats-Unis aux ressortissants de confession musulmane,
relocalisation massive de plusieurs industries, réductions fiscales
pour les entreprises et les ménages, mesures protectionnistes) semblent un peu trop grosses
pour être vraies.
OncDo
sera-t-il l'héroïque Batman à l'épreuve du Congrès, des
gouverneurs, des caucus, des lobbies, de Wall Street, de la scène
internationale et du principe de réalité ? Comment réagiront ses électeurs quatre ou huit ans plus tard en cas de déception et de frustration ?
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