David
Dufresne est un journaliste spécialisé sur les questions de
sécurité et de libertés publiques, auteur de l'enquête
« Maintien
de l'ordre » (Hachette Littérature , 2007),
autrefois reporter à Libération et rédacteur-en-chef de la chaîne
d'informations i-Télé (devenue Cnews).
Depuis
la crise des Gilets Jaunes et ses affolantes statistiques de victimes
de violences policières (morts, blessures graves, mutilations, etc),
il estime que « le
maintien de l'ordre à la française a explosé en plein vol »
:
«
Le fait de multiplier les forces de
l'ordre signifie que vous allez mobiliser des policiers qui ne sont
pas formés au maintien de l'ordre et qui tirent à gogo, qui ont
l'habitude de faire du « saute-dessus », qui ont l'habitude de se
retrouver face à des délinquants parfois armés, qui ont des
méthodes qui ne sont pas celles du maintien de l'ordre. Donc, on
voit des matraquages démentiels qui n'ont aucun rapport avec la
doctrine française du maintien de l'ordre [...]
Il faut bien avoir en tête que le
maintien de l'ordre obéit à des ordres politiques. C'est la gestion
de la rue, il n'y a pas plus politique que le maintien de l'ordre.
On dit beaucoup qu'à la préfecture de police, depuis l'affaire
Benalla, ça ne va pas bien ni Place Beauvau, qu'il y a beaucoup
d'interrogation [...]
Ce qu'on a vu samedi 8 décembre, ce sont des policiers davantage
sous l'ordre des commissaires de quartier que du préfet, donc un
échelon plus proche. Le maintien de l'ordre est une police très
psychologique, puisque c'est la gestion de la foule. On était dans
une mise en scène, pour les télévisions, de la reprise des
Champs-Élysées avec ses blindés et ses compagnies de gendarmes
mobiles. Il restait quoi, 30 Gilets jaunes pour 40 caméras ? Mais
les images ont fait le tour du monde ! C'était de la fabrication
très réussie d'images, de mise en scène. Pour moi, les blindés
répondent à l'Arc de Triomphe en termes de symbole.
[...] Moi, j'ai l'impression que les
15 dernières années, on est rentré dans une société très
sécuritaire avec des fantasmes qui rehaussent le seuil de tolérance
à la violence. Les mêmes images il y a 10 ou 15 ans auraient mis la
France dans la rue. Est-ce de l'accoutumance ? Il y a aussi le fait
de doter la police d'armes dites non létales : certains syndicats de
police reconnaissent de fait que les policiers utilisent plus
facilement un Flash-Ball qu'une arme létale. Du coup, on a des
blessures qui n'étaient pas là il y a 20 ans.
» (Le
Point, 14 décembre 2018)
Invité
par Aude Lancelin / Le Média, l'ex-cofondateur de Médiapart
explique pourquoi et comment le gouvernement français et les forces
de l'ordre semblent à la fois désorientés, dépassés et poussés
dans leurs derniers retranchements face à une contestation sociale
proprement inédite.
Les
analyses de David Dufresne confirment amplement celles de Olivier
Filleule (CNRS, Université de Lausanne) et Fabien Jobard (CNRS,
Centre Marc Bloch) dans un article titré « Un
splendide isolement : les politiques françaises du maintien de
l'ordre » :
«
Tandis qu’en France, la police tenue
pour coupable d’acharnement appelle à un rassemblement contre la «
haine anti-flics », en Allemagne, en Suède, en Suisse,
l’interaction entre police et manifestants se distingue par la
maîtrise et le dialogue. La police française résiste aux nouveaux
modèles de maintien de l’ordre, articulés autour de la notion de
désescalade [...] Comme
on le voit, les polices allemandes ne chôment pas. Elles affrontent
des violences de gauche et des violences de droite ; des violences
dont elles sont l’objet et des belligérant.e.s qu’elles séparent
; elles protègent des ministres et des foules ; elles emploient la
force et elles interpellent. Mais le point crucial qui les distingue
des polices françaises est ceci : force reste à la loi ; force
reste dans la loi. Pas de manifestants menottés et frappés par un
policier. Pas de manifestants à terre et frappés. Pas de
manifestants injuriés. Pas de jets indiscriminés de gaz lacrymogène
dans une foule composite engouffrée dans le métro, au prétexte que
s’y seraient glissés des autonomes ou des casseurs. Pas de
matraquage dans le dos de passants. Pas de perte de contrôle. Pas de
gazage dans les entrées ou les enceintes du métro. Au final, pas de
polémique [...] Cette
maîtrise de la force, nous l’avons suggéré, est le produit d’une
quinzaine d’années de politique dite de « désescalade »
(Deeskalation). En Allemagne, la « désescalade » est entre
autres le produit de la décision « Bockdorf » du Tribunal
constitutionnel (1985), qui avait introduit une « obligation de
communication et de coopération » des forces de l’ordre avec les
protestataires [...]
Or loin d’être propre à l’Allemagne, cette politique a sinon
nourri, du moins participé à un nouveau modèle de maintien de
l’ordre en Europe, que l’on retrouve désormais dans le système
des officiers de dialogue en Suède, l’event police au Danemark,
les peace units en Hollande, les Liaison Officers en Angleterre, les
Special Police Tactics (SPT) en Suède ou encore le modèle dit des
trois D (dialoguer, désamorcer, défendre) en Suisse romande [...]
Ce nouveau modèle repose sur quatre grands principes : 1/ une
conception des logiques de la foule, alternative à celle promue par
Gustave Le Bon [6], toujours au cœur de la philosophie française du
maintien de l’ordre ; 2/ la facilitation et l’accompagnement des
manifestations de rue ; 3/ le développement de la communication à
tous les stades d’une opération de maintien de l’ordre ; 4/ la
différenciation et le ciblage des interventions de rétablissement
de l’ordre. » (La
Vie des Idées, 24 mai 2016)
Selon Thucydide:
« De toutes les manifestations du pouvoir, celle qui
impressionne le plus les hommes, c'est la retenue ».
En
savoir + : Maintien
de l’ordre et violences policières : ce que l’histoire
nous apprend (The
Conversation)
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