Ghassan Salamé est un politologue libanais, professeur de relations internationales à l'université Saint-Joseph et à l'université américaine de Beyrouth, auparavant ministre de la culture, de l’éducation et de l'enseignement supérieur du Liban puis envoyé spécial de l'ONU en Libye. Plus d'un mois après la guerre en Ukraine, il est interviewé par Pascal Boniface – Comprendre le Monde.
La guerre en Ukraine a remis en question un certain nombre d’équilibres sur la scène internationale. Bien que les Occidentaux semblent avoir gagné en unité face à la guerre, notamment dans le cadre de l'OTAN, ils sont certainement plus isolés vis-à-vis du reste du monde. La réponse à la guerre en Ukraine est un point qui divise davantage la communauté internationale : certains pays la condamnent là où les Occidentaux la sanctionnent. Va-t-on assister, comme le préconise le président Joe Biden, à un nouveau clivage entre l’axe des pays autoritaires et l’axe des démocraties ? Quels seraient les opportunités et les dangers d’une telle formule ? L’alliance entre la Chine et la Russie est-elle aussi solide que l’on prétend ?
Extraits
: “La
moitié des pays africains n'ont pas voté avec les Occidentaux [contre la
Russie à l'assemblée genérale des Nations-Unies].
Il y avait parmi eux des grands pays africains comme l'Afrique du
sud, l'Ethiopie et des alliés très fidèles. La plupart des pays
arabes se sont abstenus. Il y a une espèce de contraste entre une
unité occidentale retrouvée et le reste du monde qui est réticent.
L'URSS a joué un rôle important dans la décolonisation et dans la
lutte contre l'apartheid, et beaucoup d'Africains sentent qu'ils
trahiraient cette amitié envers Moscou. Cela ne veut pas dire qu'ils
soutiennent l'invasion de l'Ukraine mais il y a une sorte fidélité. Mais
il y a autre chose : le principal partenaire de ces pays africains
est la Chine, et ils ne vont pas voter contre la Chine non plus. Mais
il y a encore autre chose : les expatriés africains ont été
maltraités lorsqu'ils ont traversé la frontière entre l'Ukraine et
la Pologne. Mais il y aussi le fait que l'Homme Blanc semble
passionné et mesmérisé par cette guerre alors que beaucoup de ces
pays ne sont jamais sortis de l'état de guerre et n'ont pas suscité
un intérêt similaire [...]
Il
y avait aussi l'Inde, pourtant membre du QUAD, qui s'est abstenue.
L'arbre des Rafale français ne doit pas cacher la forêt : 70% de
l'arsenal militaire indien est fourni par Russie
[...]
La naissance de l'Etat et du droit international est certainement
marqué géographiquement en Europe. Donc, l'idée même de
communauté internationale est une idée occidentale. Les
Nations-Unies ont été crées, principalement, par la volonté d'un
président américain. La confusion entre communauté internationale
et monde entier est donc facile à faire [...]
Clausewitz avait raison : “quand une guerre commence, il y a
énormément de poussière qui l'entoure”. Je ne suis pas un expert
militaire et je ne crois pas aux experts non-militaires qui,
contrairement à moi, osent s'exprimer sur la situation militaire en
Ukraine. J'attend la fin de cette guerre pour voir ce qui s'est
passé."
Dans un entretien au journal Le Monde, l'universitaire et diplomate libanais estime que la guerre en Ukraine est le produit d’une érosion des normes internationales et d'une dérégulation de la force, qui trouvent leurs racines dans l’intervention américaine en Irak en 2003.
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